9 sept. 2022 - La Chambre criminelle confirme sa jurisprudence sur la notion de biens mal acquis - C. Bauer-Violas

Nous avions évoqué dans un article du 22 juin dernier, le pourvoi formé par  M. R. oncle du Président syrien actuel, contre l’arrêt d’appel le déclarant coupable de blanchiment en bande organisée et prononçant diverses sanctions, notamment  la confiscation des biens mal acquis par le biais de ce détournement de fonds.

La Chambre criminelle par son arrêt du 7 septembre 2022 (n°21-86002) a rejeté son pourvoi et confirmé sa condamnation du chef de blanchiment en bande organisée, pour avoir détourné plusieurs centaines de millions de dollars au cours des années 1970 et 1980, millions réinvestis entre 1996 et 2016 en France, en Espagne et en Grande Bretagne dans l’acquisition et l’accumulation d’un patrimoine immobilier exceptionnel détenu par l’intermédiaire de sociétés établies dans des pays reconnus pour leur manque de transparence financière.

On rappellera que cette jurisprudence s’inscrit la ligne de l’arrêt historique du 28 juillet 2021 par lequel la chambre criminelle de la Cour de cassation avait pour la première fois définitivement condamné un haut dirigeant étranger pour avoir blanchi une somme estimée à près de 150 millions d’euros sur le territoire français, entre 1997 et 2011, à une peine d’emprisonnement assortie de sursis, au paiement d’une lourde amende et surtout à la confiscation de biens mobiliers et immobiliers considérés dès lors comme mal acquis,  pour une valeur totale estimée à cette même somme.

Concernant le pourvoi de M. R., après avoir déclaré non admis un certain nombre de griefs, la chambre criminelle a pris soin de motiver sa décision sur plusieurs points.

Précisément, sur le blanchiment aggravé de fonds constituant le produit du délit de détournement de fonds publics, elle a relevé que les juges avaient souverainement apprécié au vu des éléments de preuve soumis, le fait que la somme de 300 000 000 de dollars avait été constituée de fonds publics provenant de détournements commis par une personne qui en était nécessairement dépositaire au sens de l’article 169 du code pénal. Certes, M. R. faisait valoir que cet article ne réprimait alors certes  que le percepteur, dépositaire ou comptable ayant soustrait des deniers publics mais la Chambre criminelle a rappelé que le champ d’application dudit article avait été étendu par la jurisprudence notamment aux ordonnateurs.

De plus, la chambre criminelle a écarté l’exception d’irresponsabilité pénale du chef de l’Etat syrien qu’il invoquait en précisant, d’une part, que caractérise le délit de blanchiment, infraction générale, distincte et autonome, l’utilisation en France de fonds provenant de détournements de fonds publics commis à l’étranger et d’autre part, que à supposer que cette cause d’irresponsabilité pénale puisse être invoquée, au regard de l’article 91 de la Constitution syrienne applicable à la date des faits, elle n’interdit pas de qualifier les actes auxquels elle s’applique.
Le délit de blanchiment de fraude fiscale est également confirmé ainsi que la confiscation des immeubles et des créances. Sur les mesures de confiscation du patrimoine de M. R., la chambre criminelle relève que l’article 324-7 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n°2001-420 du 15 mai 2001, prévoit à l’encontre des personnes physiques coupables de blanchiment, la peine de confiscation de tout ou partie des biens du condamné, laquelle n’exclut pas les biens immobiliers, l’absence de référence, dans l’article 131-21 du code pénal, à la confiscation de patrimoine étant sans emport et ne rendant pas ineffectives les dispositions de l’article 324-7 susvisé. En tout état de cause, précise-t-elle, le demandeur a été reconnu coupable de faits de blanchiment aggravé commis entre le 15 mai 1996 et le 9 juin 2016, soit, pour une partie, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi no 2007-297 du 5 mars 2007 qui a modifié l’article 131-21 du code pénal en introduisant la confiscation de patrimoine.

Enfin sur la confiscation de patrimoine portant sur les biens immobiliers propriétés des sociétés Al Jinane, Elm investments NV, Somer, Aym, Sounoune, Alion hôtel, Natison holdings investments, sur une créance détenue par la SCI 26 rue Jasmin contre la ville de Paris et une créance de loyers dus par les locataires de l’immeuble situé 100 avenue du Président Kennedy appartenant à la société Sounoune, la chambre criminelle approuve les motifs des juges d’appel ayant relevé que les personnes physiques ou morales qui apparaissent comme propriétaires des biens saisis ne sont que des prête-noms ou des sociétés écrans afin d’en dissimuler le réel propriétaire, et que cette volonté de dissimulation de la véritable propriété des biens est étayée par l'utilisation de mécanismes complexes (recours à des sociétés offshores et à des comptes bancaires situés à l’étranger) jointe à sa toute puissance dans la gestion des sociétés dont il supportait personnellement les charges et disposait des moyens financiers en percevant les produits des loyers, des ventes et des expropriations, lesquels motifs suffisent à caractériser la libre disposition des biens immobiliers et des créances.

Est donc inopérant, selon la Cour de cassation, le moyen qui fait valoir que les biens ont été acquis antérieurement aux faits visés à l’aide de fonds d’origine licite.

Par cette décision, la chambre criminelle confirme donc que les hauts dignitaires de régimes étrangers sont passibles de sanctions à raison du blanchiment sur le territoire français de fonds provenant d’un détournement de fonds publics.

Catherine Bauer-Violas