10 sept. 2021 - La complicité de crimes contre l’humanité : précisions quant à la caractérisation de l’élément intentionnel - C. Bauer-Violas, L. Mary et S. Lamotte

Il est des qualifications qui – fort heureusement – sont rarement débattues devant la Cour de cassation. Celle de complicité de crimes contre l’humanité en fait partie.

  1. Dans une affaire fort médiatisée impliquant un cimentier français, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de savoir si le versement par cette société à l’Etat Islamique (EI) d’une somme de plus de 15 millions de dollars pour poursuivre son activité économique, en toute connaissance de cause des projets criminels du groupe islamique, était constitutif de l’élément intentionnel requis au titre de la complicité de crimes contre l’humanité. A la suite de plaintes avec constitution de parties civiles de plusieurs victimes et associations, la société a été poursuivie puis mise en examen pour différents chefs d’infractions et notamment pour celui de complicité de crimes contre l’humanité.
  1. Après sa saisine par le cimentier mis en cause, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a finalement annulé sa mise en examen pour complicité de crimes contre l’humanité. La chambre de l’instruction, a clairement indiqué qu’il était possible de relever des éléments suffisants laissant penser que l’EI avait commis des crimes contre l’humanité dans des zones proches de la cimenterie, que le cimentier avait connaissance des exactions commises par les groupes islamistes actifs dans la région, au premier rang desquels figure l’Etat islamique, et, qu’il leur avait versé des fonds en toute connaissance de cause. Elle a pourtant considéré que le financement de l’EI par le cimentier était destiné à permettre la poursuite de son activité et qu’il ne pouvait être prétendu que ce financement manifestait son intention de s’associer aux crimes contre l’humanité perpétrés par cette entité. En d’autres termes, la chambre de l’instruction a considéré que la mise en examen de la société pour complicité de crimes contre l’humanité devait être annulée car une condition de la complicité aurait fait défaut, à savoir, celle de son adhésion au projet criminel de l’EI. Toutefois, cette position, également défendue par l’Avocat général, et ajoutant un critère supplémentaire à l’élément moral de la complicité, n’a pas été retenue par la Cour de cassation.
  1. Dans son arrêt historique rendu le 7 septembre dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé que certes, la caractérisation du crime contre l’humanité nécessitait « la démonstration de l’existence, en la personne de son auteur, du plan concerté » défini par l’article 212-1 du code pénal, mais que cette condition n’était pas requise par l’article 121-7 du même code s’agissant du complice d’un tel crime. Ainsi, elle a indiqué que cette disposition n’exigeait « ni que le complice de crime contre l’humanité appartienne à l’organisation, le cas échéant, coupable de ce crime, ni qu’il adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, ni encore qu’il approuve la commission des crimes de droit commun constitutifs du crime contre l’humanité » pour que l’élément intentionnel de la complicité de crimes contre l’humanité soit constitué. Les hauts magistrats ont fait une application stricte des conditions requises pour caractériser la complicité d’une infraction en rappelant qu’ « il suffit qu’il [le complice] ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité [élément moral] et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation [élément matériel] ».
  1. Ils ont également précisé que les dispositions de l’article 121-7 du code pénal s’appliquaient sans distinction relevant de nature de l’infraction principale ou de la qualité du complice ou selon qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale et qu’interpréter les articles 121-7 et 212-1 du code pénal autrement viendrait tellement restreindre l’élément intentionnel requis au titre de la complicité que toute poursuite en serait concrètement rendue très difficile et en conséquence, laisserait de nombreux actes de complicité impunis alors que « c’est la multiplication de tels actes qui permet le crime contre l’humanité ».
  1. La cassation de l’arrêt attaqué devait s’ensuivre dès lors que la chambre de l’instruction avait relevé que la société Lafarge avait financé via des filiales les activités de l’EI à hauteur de plusieurs millions de dollars alors qu’elle avait une connaissance précise des agissements de cette organisation. En effet, énonce clairement la chambre criminelle « 81. le versement en connaissance de cause d’une somme de plusieurs millions de dollars à une organisation dont l’objet n’est que criminel suffit à caractériser la complicité par aide et assistance. 82. Il n’importe, en second lieu, que le complice agisse en vue de la poursuite d’une activité commerciale, circonstance ressortissant au mobile et non à l’élément intentionnel. »
  1. En définitive, cette décision sans précédent, aura sans nul doute des répercussions importantes en matière de poursuite des auteurs de crimes contre l’humanité et de leurs complices. Il convient en effet, de ne jamais perdre de vue, comme l’a affirmé Mme Mireille Delmas-Marty que « le crime contre l'humanité est la borne commune à toutes les cultures » et que « la mission des droits de l'homme est aussi de préserver cette humanité à venir, ces générations futures, pour que cette humanité reste promesse. »
Catherine BAUER-VIOLAS, Léa Mary et Solène LAMOTTE (stagiaire)