3 août 2015 - Preuve de l’existence d’un bail rural verbal- Olivia Feschotte-Desbois, Gilles Vincent et Suzy Duarte

Si la validité des baux ruraux verbaux, encore très fréquents en pratique, est admise depuis longtemps, ils n’en continuent pas moins de nourrir un contentieux relativement abondant quant à leur preuve.
Dans un arrêt du 7 juillet 2015 (3e Civ., pourvoi n°14-15.798), la Cour de cassation a été amenée à statuer sur ce problème dans le cas particulier de la mise à disposition de terres au profit d’un GAEC.
Les faits sont relativement simples.

Un GAEC, dont l’un des associés s’était retiré fin 2011, a sollicité devant le tribunal paritaire des baux ruraux la reconnaissance à son profit d’un bail rural, en exposant que depuis le départ du précédent locataire à la fin de l’année 2009,  il exploitait diverses parcelles de terre dont le bailleur était usufruitier.
Ainsi, la question était de savoir comment distinguer entre la conclusion d’un véritable bail rural au profit d’un GAEC d’une simple mise à disposition des terres à son profit.
La difficulté provient de ce que dans les deux cas, on est en présence d’une mise à disposition des terres agricoles à titre onéreux, mais dans le premier cas directement au profit du GAEC, tandis que dans le second cas il y a un intermédiaire qui est l’associé du GAEC, seul titulaire du bail qu’il met à la disposition du GAEC.

C’est le plus souvent en démontrant qu’il paie un fermage en contrepartie de la mise à disposition des terres que le bailleur lui a consentie que le fermier établit la réalité du bail rural.
Or, ce critère à lui seul n’est d’aucune utilité lorsque le preneur a mis à disposition d’un GAEC dont il est associé les terres prises à bail puisque l’article L.323-14 du code rural et de la pêche maritime disposant que le « groupement est tenu solidairement avec le preneur de l’exécution des clauses du bail », le GAEC est notamment tenu de payer le fermage.
Dès lors pour distinguer cette mise à disposition à titre onéreux caractérisant un bail rural d’une simple mise à disposition par le preneur au profit d’un GAEC des terres prises à bail, il faut déterminer qui est titulaire du bail.

Il appartient à celui qui se prétend titulaire d’un bail rural d’en apporter la preuve, par tous moyens (article L.411-1 du code rural et de la pêche maritime).
En l’espèce, pour accueillir la demande du GAEC, les juges d’appel s’étaient fondés sur trois éléments de preuve :
-        une attestation de l’ancien preneur qui prétendait que le bailleur avait donné son accord à la reprise des terres par le GAEC ;
-       la signature par le bailleur de la demande d’autorisation d’exploiter en faveur du GAEC, que le préfet avait accepté ;
-       le fait que seul le GAEC ait payé les fermages en 2010 et 2011.

Bien que ces éléments soient insuffisants à eux seuls pour caractériser l’existence d’un bail rural conclu par le GAEC et non seulement une mise à disposition des terres à son profit, on sait que la Cour de cassation reconnaît aux juges du fond un pouvoir souverain pour apprécier les éléments de preuve qui leur sont soumis (3e Civ., 25 octobre 2011, pourvoi n°10-24.463).

Néanmoins, la Cour de cassation a censuré l’arrêt au visa de l’article 455 du code de procédure civile, en rappelant le principe selon lequel les juges du fond ont obligation d’examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions (2e Civ.., 10 décembre 1998, pourvoi n°96-22.023, B.n°297; Soc., 25 septembre 2013, pourvoi n°11-25.702, non publié) aux motifs :
« Qu'en statuant ainsi, alors que ces éléments sont insuffisants à eux seuls à caractériser que le GAEC était titulaire d'un bail rural verbal et non pas bénéficiaire d'une mise à disposition et sans examiner l'attestation de bail verbal signée par Mme A... et M. X... qui lui était soumise, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; »
Cette décision s’explique donc non seulement par le fait que les éléments sur lesquels les juges d’appel s’étaient fondés étaient insuffisants pour caractériser l’existence d’un bail rural liant l’usufruitière des parcelles et le GAEC mais également, et surtout, parce que  la cour d’appel n’avait pas examiné un élément de preuve, l’attestation de bail verbal signée par le bailleur et l’associé du GAEC, document dans lequel cet associé était désigné comme fermier et domicilié à son adresse personnelle et non l’adresse du siège du GAEC.
 
Bien qu’en principe, les juges du fond soient souverains pour apprécier les éléments de preuve, la Cour de cassation allant jusqu’à leur permettre de ne pas s’expliquer sur ceux qu’ils décident d’écarter  (1re Civ., 14 octobre 2010, pourvoi n°09-68.471, B.n°201), il arrive que la Cour de cassation elle-même apprécie la force probante d’un élément de preuve, à tort écarté par les juges du fond.

En cassant l’arrêt aux motifs que la cour d’appel n’a pas examiné l’attestation de bail verbal susvisée, la Cour de cassation a estimé qu’il ressortait de cet élément que le preneur était l’associé et non le GAEC. 

Olivia Feschotte-Desbois, Gilles Vincent et Suzy Duarte (stagiaire).