I. - Par un intéressant arrêt du 14 septembre 2017 à paraître au Bulletin (3
e Civ., 14 septembre 2017, n°
16-23.590 (FS-P+B), la
Cour de cassation a apporté une utile précision concernant le point de départ de la prescription applicable à la demande tendant à la requalification d’une convention en bail commercial.
On rappellera qu’en vertu de l’article L. 145-60 du code de commerce, «
Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre [intitulé "du bail commercial"] se prescrivent par deux ans ».
L’hésitation était permise sur le point de savoir si l’action tendant à la requalification d’une convention en bail commercial relevait de la prescription biennale.
Sur ce point, la
Cour de cassation a jugé que la demande tendant à la requalification d’un contrat de location-gérance en bail commercial
«
était soumise à la prescription biennale et que le délai de prescription courait à compter de la conclusion du contrat » (3
e Civ., 22 janvier 2013, pourvoi n°
11-22984. V., dans le même sens : Com., 11 juin 2013, pourvoi n°
12-16103,
Bull. IV, n° 96).
Néanmoins, cette jurisprudence n’a pas mis fin à toute incertitude, en particulier dans l’hypothèse de la reconduction de la convention. Fallait-il dans ce cas faire courir la prescription à compter de la conclusion du contrat initial ou de l’avenant, permettant ainsi au demandeur à l’action en requalification de bénéficier en quelque sorte d’une prorogation du délai pour agir ?
II. – Par l’arrêt commenté, au visa de l’article L. 145-60 du code de commerce, la
Cour de cassation a énoncé, dans un attendu de principe, que :
«
le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d’une convention en bail commercial court à compter de la date de la conclusion du contrat, peu important que celui-ci ait été renouvelé par avenants successifs ».
Pour simple qu’elle paraisse, cette solution était pourtant loin d’être évidente, car les arguments militant en sens inverse ne manquaient pas.
Ces arguments pouvaient être puisés dans la physionomie juridique du droit des baux commerciaux, animé d’un souci de protection à l’égard du preneur. En effet, un certain nombre de dispositions du statut tendent, de façon plus ou moins directe, à assurer une certaine protection au preneur en place.
A titre d’exemple, lorsque le preneur est maintenu dans les lieux suite à la conclusion d’un bail dérogatoire, l’article L. 145-5, alinéa 2 du code de commerce prévoit qu’il s’opère un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux. Ainsi, le preneur qui se maintient dans les lieux à l’expiration d’un bail dérogatoire bénéficie de plein droit du statut protecteur des baux commerciaux, dès lors qu’il satisfait par ailleurs aux conditions prévues à l’article L. 145-1 et le cas échéant à l’article L. 145-2 du code de commerce.
Or, dans cette hypothèse, la
Cour de cassation juge que «
la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à la prescription biennale » (3
e Civ., 1
er octobre 2014, pourvoi n°
13-16806,
Bull. III, n° 121 ; 3
e Civ., 13 mai 2015, pourvoi n°
13-23321).
Plus généralement, il faut rappeler que le statut des baux commerciaux est
d’ordre public et que le preneur ne peut y renoncer avant la naissance de son droit (3
e Civ., 17 mars 2016, pourvoi n°
14-24658 ; 3
e Civ., 19 novembre 2003, pourvoi n°
02-15887,
Bull. III n° 202).
Dans cette logique, la
Cour de cassation juge de façon constante que lorsque le bailleur cherche à contourner l’application du statut des baux commerciaux alors que les conditions en sont satisfaites, un tel comportement frauduleux suspend la prescription biennale de l’action en requalification du contrat pendant toute la durée du bail (3
e Civ., 19 novembre 2015, pourvoi n°
14-13882).
III. - Dans ce contexte, la solution retenue par l’arrêt commenté paraît peu protectrice du preneur.
En outre, la solution retenue paraît particulièrement inique au vu des circonstances de l’espèce, relative à une exploitation hôtelière.
Si le local servant d’hôtel était soumis au statut des baux commerciaux, tel n’était pas formellement le cas du terrain nu qui le jouxtait, pour lequel un bail avait été consenti pour « un usage de parking, atelier et étendoir ». Ce terrain servait au stationnement des véhicules des clients ainsi qu’à y étendre le linge de l’hôtel, tandis que le local édifié sur le terrain était affecté à l’usage d’atelier et d’entrepôt des matériels et outillages nécessaires à l’entretien et l’exploitation courante de l’hôtel.
Le bail était conclu pour une durée d’un an renouvelable pour la même durée par tacite reconduction, sauf la faculté réservée à chacune des parties d’y mettre fin en respectant un délai de préavis de trois mois.
Par acte d’huissier de justice du 25 septembre 2012, les bailleurs ont fait délivrer au preneur un congé avec effet au 31 décembre 2012. Ce faisant, ils entendaient échapper au statut des baux commerciaux.
Le preneur a alors opposé la nullité du congé en soutenant que le bail du terrain contigu était en réalité un bail commercial. Il demandait donc la requalification du bail de terrain nu en bail commercial. Ce à quoi le bailleur a opposé la prescription biennale.
IV. - La cour d’appel, qui n’était sans doute pas insensible à la philosophie sous-tendant le droit protecteur des baux commerciaux, avait écarté cette fin de non-recevoir en relevant que l’action en nullité du congé ne pouvait être engagée par la société locataire qu’à partir de la date à laquelle lui avait été dénié le droit au bénéfice du statut des baux commerciaux.
Ce raisonnement pourtant convaincant n’a donc pas été suivi par la
Cour de cassation, qui a pour sa part considéré que :
«
le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d’une convention en bail commercial court à compter de la date de la conclusion du contrat, peu important que celui-ci ait été renouvelé par avenants successifs ».
Cette solution contribue à fragiliser la situation des preneurs à bail commercial et se concilie mal avec la physionomie d’ensemble du statut.
Delphine Archer et
Olivia Feschotte-Desbois