27 juin 2014 - Deux avis du Conseil d'Etat pour éclairer les conditions d'application de l'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relatives au contentieux de l’urbanisme - Patrick Chauvin et Denis Garreau

Le Conseil d’Etat a rendu, le 18 juin dernier deux avis importants s’agissant de l’application des dispositions de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relatives au contentieux de l’urbanisme.
Cette ordonnance a apporté des modifications majeures au Code de l'urbanisme.

- Ainsi, l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme donne une définition législative de l’intérêt à agir d’un requérant, autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou une association, contre un permis de construire, un permis de démolir ou un permis d’aménager. Désormais, l’intérêt à agir sera caractérisé si le requérant démontre que les travaux critiqués affectent directement les conditions d’occupation d’utilisation ou de jouissance du bien qu’il occupe régulièrement ou pour lequel il bénéfice d’une promesse de vente ou de bail.

- L’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme énonce que l’intérêt à agir contre un permis de construire, un permis de démolir ou un permis d'aménager s’apprécie à la date d’affichage en Mairie de la demande du pétitionnaire.

- L’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme prévoit que le juge qui, saisi d’un recours en annulation d’un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens n’étaient pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie, la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation.

- L'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme instaure un mécanisme analogue lorsque le vice entrainant l'illégalité du permis est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif. Dans ce cas, le juge administratif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. L'article ajoute que si un permis modificatif est notifié au juge dans ce délai, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations.

- L’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme permet au bénéficiaire du permis de construire, contesté par un requérant, de demander au juge saisi du recours, de condamner celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts lorsque le recours a été formé dans des conditions excédant la défense des intérêts légitimes du requérant et lui a causé un préjudice excessif. Cet article prévoit que cette demande indemnitaire peut être présentée pour la première fois en appel.

L'ordonnance du 18 juillet 2013 est entrée en vigueur le 19 août 2013 et la question se posait de savoir si elle était applicable aux procédures en cours devant le juge administratif ou si elle n’avait vocation à s’appliquer qu’aux recours formés après l‘entrée en vigueur de l’ordonnance. En effet, alors même qu’il n’était guère douteux que cette question se poserait inévitablement au juge administratif, l’ordonnance ne disait strictement rien sur ce point.

  • Par un premier avis (n° 376113), le juge administratif a précisé si les articles L. 600-1-2, L. 600-1-3, L. 600-5 et L. 600-7 du Code de l’urbanisme étaient applicables ou non aux instances alors en cours à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance.
En qui concerne l’intérêt à agir (articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme), le Conseil d’Etat juge que ces dispositions, qui affectent la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative, sont, en l’absence de dispositions contraires expresses, applicables aux recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur. Elles ne sont donc pas d’application immédiate et ne peuvent s’appliquer aux procédures juridictionnelles en cours.
Ces dispositions ne s'appliqueront donc qu'aux recours contre les permis formés depuis le 19 août 2013.
Cette solution, retenue par le Conseil d'Etat, n'a pas seulement une signification s'agissant de l'entrée en vigueur des textes en cause. Elle montre que le Conseil d'Etat considère que la définition de l'intérêt à agir a bien été modifiée par ce texte et, au regard de la définition donnée par le texte, dans un sens plus strict. Il sera donc intéressant, à l'avenir, de voir comment le juge administratif fera application de cette nouvelle définition de l'intérêt à agir.
S’agissant des articles L. 600-5 (annulation d'une partie du projet et permis de régularisation) et L. 600-7 du Code de l’urbanisme (dommages et intérêts pour recours abusif), le Conseil d’Etat retient que ces dispositions qui concernent exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière du contentieux de l’urbanisme sont d’application immédiate aux instances en cours quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée. Le Conseil d’Etat précise que ces dispositions peuvent être appliquées pour la première fois en appel.

  • Par un second avis (n° 376760), le Conseil d’Etat était saisi de la question de savoir si le juge d’appel pouvait mettre en œuvre les dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, lorsqu’il était saisi d’un jugement d’annulation rendu avant l’entrée en vigueur de l'ordonnance du 18 juillet 2013.
A l'instar de la solution retenue pour l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme, le Conseil d'Etat juge que ces dispositions sont d'application immédiate aux instances en cours. En conséquence, le juge d'appel peut mettre en œuvre ces dispositions y compris dans le cas où il a été saisi d'un jugement d'annulation rendu avant leur entrée en vigueur.
Mais, le Conseil d'Etat profite aussi de cet avis pour préciser l'office du juge d'appel dans l'application de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme.
Ainsi, il énonce que lorsque le juge d'appel estime qu'un moyen ayant fondé l'annulation du permis litigieux par le premier juge, est tiré d'un vice susceptible d'être régularisé par un permis modificatif, et qu'il décide de faire usage de la faculté de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme, il lui appartient, avant de surseoir à statuer, de constater préalablement qu'aucun des autres moyens ayant, le cas échéant, fondé le jugement d'annulation, ni aucun de ceux qui ont été écartés en première instance, ni aucun des moyens nouveaux et recevables présentés en appel n'est fondé et n'est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif. Le juge d'appel devra dans sa décision de sursis indiquer les motifs pour lesquels les moyens doivent être écartés.
Le Conseil d'Etat précise, qu'à compter de cette date, seuls des moyens dirigés contre le permis modificatif peuvent être invoqués devant le juge d'appel. En d'autres termes, de nouveaux moyens contre le permis initial ne pourront plus être soulevés après l'édiction du permis modificatif.

La clarification apportée par ces deux avis est évidement bienvenue s'agissant des conditions d'application de ces textes. Il est cependant regrettable qu'il ait été nécessaire d'attendre 10 mois pour avoir ces précisions et il eut été autrement plus simple que l'ordonnance fixe elle-même ses conditions d'application.

Patrick Chauvin et Denis Garreau