Parmi les nombreux apports des décrets du 6 mai 2017 relatifs à la procédure civile, figurent dans le décret n
° 2017-891 du 6 mai 2017, relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, des précisions et modifications quant à l’office du conseiller de la mise en état et aux recours pouvant être exercés à l’encontre des ordonnances rendues par ce dernier.
Ces dispositions n’entreront en vigueur que le 1
er septembre 2017 prochain ; elles offrent l’occasion de décrire les règles relatives à la saisine de ce magistrat, ainsi que celles relatives aux recours contre les ordonnances rendues par ce dernier, telles qu’éclairées par la jurisprudence et ce nouveau texte.
I – La saisine du conseiller de la mise en état.
L’article 914 nouveau précise le rôle du conseiller de la mise en état et les conditions dans lesquelles il peut être saisi de certaines conclusions.
Il prévoit en effet que les parties peuvent saisir le conseiller de la mise en état de conclusions tendant à prononcer la caducité de l’appel, à déclarer l’appel irrecevable, à déclarer les conclusions irrecevables pour tardiveté (le décret harmonisant les délais pour conclure à trois mois à l’égard de toutes les parties), ou, et c’est un ajout, à déclarer
tout acte irrecevable pour non transmission par voie électronique.
L’article 910-3 nouveau introduit toutefois la possibilité pour le conseiller de la mise en état d’écarter les sanctions d’irrecevabilité ou de caducité en cas de force majeure, ce qui était très attendu au vu de l’effet couperet des sanctions ainsi prononcées.
Le décret reprend en outre une exigence formelle dégagée par la jurisprudence, et imposant aux parties de saisir le conseiller de la mise en état, lui-même, de telles conclusions : le conseiller de la mise en état n’est saisi des demandes relevant de sa compétence que par les conclusions qui lui sont spécialement adressées de sorte qu’est irrecevable la
demande tendant au prononcé de la
caducité de l'appel formulée dans des
conclusions comportant également des moyens et demandes
au fond, adressées à la cour d'appel (2
e Civ., 12 mai 2016, pourvoi n°
14-25.054, publié au Bulletin).
Car
le texte rappelle la compétence exclusive du conseiller de la mise en état pour statuer sur de telles conclusions.
La
Cour de cassation avait ainsi censuré l’arrêt par lequel une cour d’appel s’était prononcée sur un incident régulièrement formé par conclusions signifiées dans le cadre de la mise en état que seul le conseiller de la mise en état avait compétence pour connaître (3
e Civ., 24 septembre 2014, pourvoi n°
13-21.524, Bull III n° 114).
De même, la constatation de l'extinction de l'instance par une ordonnance du conseiller de la mise en état ne peut plus être remise en cause devant la cour d'appel, dès lors que ladite ordonnance n'a pas été déférée à cette
juridiction dans le délai imparti par le code à cette fin (1
e Civ., 9 septembre 2015, pourvoi n°
14-19.884, publié au Bulletin).
Et méconnait encore l’autorité de la chose jugée la cour d’appel qui déclarait irrecevable un appel que le conseiller de la mise en état avait jugé recevable par une ordonnance qui ne lui avait pas été déférée (1
e Civ., 3 septembre 2015, pourvoi n°
13-27.060, publié au Bulletin).
Il en résulte également que l’irrecevabilité des conclusions d’appel ne peut être invoquée pour la première fois en cassation (2
e Civ., 16 décembre 2015, pourvoi n°
14-24.642, au Bull. ; 2e Civ., 9 avril 2015, pourvois n°
13-28.707, Bull. 2015, II, n° 94).
Et seule la révélation d’éléments postérieurement au dessaisissement du conseiller de la mise en état pouvait autoriser une cour d’appel à statuer, raison pour laquelle la
Cour de cassation avait censuré un arrêt de cour d’appel ayant statué sur une fin de non- recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, invoquée par l’intimé, sans vérifier que le défaut d'intérêt de l'appelant à interjeter appel, avait été révélé postérieurement au dessaisissement du conseiller de la mise en état (2
e Civ., 24 septembre 2015, pourvoi n°
14-21.729, publié au Bulletin).
En revanche, la compétence exclusive du conseiller de la mise en état pour statuer sur des fins de non-recevoir invoquées par les parties ne prive pas la cour d’appel de la possibilité de relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité à agir ou de la chose jugée (2
e, Civ., 16 octobre 2014, pourvoi n°
13-24.575, Bull. II, n° 216) ou la caducité de la déclaration d’appel à défaut de sa signification dans le délai requis (2
e Civ., 26 juin 2014, pourvoi n°
13-20.868, Bull II n° 159).
Cette solution est reprise par le nouvel article 914 du CPC qui dispose expressément que
« la cour d'appel peut, d'office, relever la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou la caducité de celui-ci ».
Mais alors que le conseiller de la mise en état conservait sa compétence jusqu’à son dessaisissement, c’est-à-dire jusqu’à l’ouverture de débats, les parties doivent désormais saisir le conseiller de la mise en état avant la clôture de l’instruction (article 914 nouveau).
Le décret reprend également la solution, dégagée par la Cour de cassation, faisant application de sa jurisprudence en matière de concentration des moyens (Ass. plén., 7 juillet 2006, n°
04-10.672 : Bull. A.P., n° 8)
à l’instance devant le conseiller de la mise en état.
La Haute
juridiction avait en effet jugé qu’une cour d’appel, statuant sur déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état, avait à bon droit décidé que la seconde demande, tendant à voir déclarer l'appel irrecevable pour défaut de qualité à interjeter appel, se heurtait à l'autorité de la chose jugée de la première ordonnance du conseiller de la mise en état, non déférée à la cour d'appel, ayant déclaré recevable ce même appel argué de tardiveté (1
e Civ., 13 novembre 2014, pourvoi n°
13-15.642, Bull. II n° 229).
L’article 914 dispose désormais que
« les moyens tendant à l'irrecevabilité de l'appel doivent être invoqués simultanément à peine d'irrecevabilité de ceux qui ne l'auraient pas été ».
En d’autres termes, lorsqu’une partie saisit le conseiller de la mise en état, elle doit invoquer toutes les causes juridiques tendant aux mêmes fins sans pouvoir le saisir à nouveau d’une demande ayant le même objet mais fondé sur des causes différentes.
L’ordonnance du conseiller de la mise en état peut en outre donner lieu à un recours, dont les modalités sont à nouveau clarifiées par le décret.
II – La contestation des ordonnances du conseiller de la mise en état.
Le sort juridictionnel des ordonnances du conseiller de la mise en état a en effet connu des évolutions notables ces dernières années.
Antérieurement à la réforme de la procédure d’appel issue des décrets des 9 décembre 2009 et 28 décembre 2010, la jurisprudence était fixée en ce sens que
seules avaient autorité de la chose jugée au principal, les ordonnances du conseiller de la mise en état qui, appelées à trancher une constatation relative à la recevabilité de l’appel, avaient mis fin à l’instance (2
e Civ., 13 mars 2008, pourvoi
n° 07-11.384,
Bull. 2008, II, n° 68).
En revanche, la Haute
Juridiction décidait, par exemple, que les ordonnances du conseiller de la mise en état déclarant l’appel recevable étaient dépourvues de l’autorité de la chose jugée au principal.
De telles ordonnances n’étaient pas susceptibles d’être déférées à la cour d’appel (Avis de la
Cour de cassation, 2 avril 2007,
pourvoi n° 07-00.006,
Bull. 2007, Avis, n° 5) et les moyens tirés de l’irrecevabilité de l’appel qui avaient été écartés par le conseiller de la mise en état, pouvaient être soutenus à nouveau devant la formation collégiale de la cour d’appel, laquelle était alors tenue de statuer (Com., 12 juillet 2004,
pourvoi n° 03-12.672,
Bull. 2004, IV, n° 161 ; 2
e Civ., 18 décembre 2008,
pourvoi n° 07-20.599,
Bull. 2008, II, n° 276 ; Com., 4 octobre 2011,
pourvoi n° 10-15.404).
Les décrets
n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 et n° 2010-1647 du 28 décembre 2010 ont toutefois remis en cause ces solutions, transformant profondément le régime des ordonnances du conseiller de la mise en état.
Ils prévoyaient en particulier que les ordonnances du conseiller de la mise en état ont acquis l’autorité de la chose jugée en certains domaines, qu’elles mettent ou non fin à l’instance, et pouvaient être contestées, le cas échéant, par la voie d’un déféré.
Ainsi selon l’article 916 du CPC dans sa version issue de ces décrets,
« Les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond.
Toutefois, elles peuvent être déférées par simple requête à la cour dans les quinze jours de leur date lorsqu'elles ont pour effet de mettre fin à l'instance, lorsqu'elles constatent son extinction, lorsqu'elles ont trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps, lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure, un incident mettant fin à l'instance, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou la caducité de celui-ci ou lorsqu'elles prononcent l'irrecevabilité des conclusions en application des articles 909 et 910. »
Sous l’empire de ces textes, la
Cour de cassation avait ainsi pu juger que l’ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté une fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel et n’ayant pas fait l’objet d’un déféré ne pouvait être valablement contestée devant la formation collégiale de la cour d’appel car elle avait acquis autorité de chose jugée et était devenue irrévocable (
1e Civ., 10 avril 2013, pourvoi n° 12-14.939, Bull. 2013, I, n° 71).
L’ordonnance du conseiller de la mise en état ne pouvait ainsi faire l’objet que d’un déféré devant la cour d’appel, dans les quinze jours de l’ordonnance, dans des hypothèses précisément définies.
Le décret du 6 mai 2017 étend quelque peu ces hypothèses en prévoyant désormais que peuvent faire l’objet d’un déféré les ordonnances du conseiller de la mise en état
« lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure, sur un incident mettant fin à l'instance, sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou la caducité de celui-ci ou sur l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909,910, et 930-1 ».
Ainsi, les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en raison de leur tardiveté ou, et c’est un ajout, de leur non communication par voie électronique peuvent être déférées à la cour d’appel, quel que soit le sens de la décision, alors qu’auparavant, seules les ordonnances retenant une telle irrecevabilité pouvaient être ainsi déférées.
S’agissant des modalités de saisine de la cour d’appel, la
Cour de cassation avait retenu un formalisme très léger en considérant que les dispositions de l’article 916 du CPC selon lesquelles les ordonnances du conseiller de la mise en état pouvaient être déférées par simple requête autorisaient la saisine de la cour d’appel par une lettre contenant l’objet de la demande et l’exposé des moyens (2
e Civ., 26 juin 2014, pourvoi n°
13-11.635, Bull II n° 158).
Le texte prévoit désormais que
« la requête, remise au greffe de la chambre à laquelle l'affaire est distribuée, contient, outre les mentions prescrites par l'article 58 et à peine d'irrecevabilité, l'indication de la décision déférée ainsi qu'un exposé des moyens en fait et en droit. »
Enfin, il faut noter que la
Cour de cassation a admis le déféré « incident », en jugeant que lorsqu’une partie défère à la formation collégiale de la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état en ne critiquant que l'un des chefs du dispositif, son adversaire peut, et sans être tenu par le délai de quinze jours prévu à l'article 916 du code de procédure civile, étendre la critique à d'autres chefs de la décision déférée ( 2
e Civ., 13 mai 2015, pourvoi n°
14-13.801, publié au Bulletin).
Marie-Paule Melka,
Sophie Mahé et
Denis Garreau
Voir aussi :
Quel recours contre une ordonnance du conseiller de la mise en état statuant sur une fin de non-recevoir ? – 31 octobre 2013