10 février 2017 - Exception d’illégalité : rappel et illustration du mécanisme dans le contentieux de la procédure de consultation - D. Garreau, D. Archer et A. Pilon

Par une récente décision (CE, 16 décembre 2016, n° 391663, mentionné dans les tables du Recueil Lebon), le Conseil d’Etat a eu l’occasion de rappeler une solution ancienne selon laquelle le moyen tiré de l’irrégularité de la désignation d’un membre d’une commission n’est plus recevable à l’encontre d’une décision prise sur avis de cette instance dès lors que cette nomination est devenue définitive.
 
En l’espèce, l’association Oiseaux-Nature avait saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de l’arrêté du 30 juin 2015 pris par la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces d'animaux classées nuisibles, en ce qu'il listait la fouine, le renard, le corbeau freux et la corneille noire parmi les « espèces nuisibles » dans le département des Vosges.
 
Elle invoquait à ce titre plusieurs moyens de légalité externe et interne parmi lesquels un vice de procédure. L’association estimait en effet que la procédure de consultation, faisant intervenir la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage pour avis, n’avait pas été respectée.
 
Plus particulièrement, elle reprochait la présence, au sein de cet organe consultatif, de la directrice de la chambre d’agriculture des Vosges dont le vice-président était également membre et partant, l’absence d’indépendance de la première.
 
Cependant, l’acte nommant cette personne au sein de la commission était un acte individuel qui était déjà devenu définitif en raison de sa publication et n’avait pas été attaqué dans le délai de recours. Le moyen tiré de la composition irrégulière de la commission a donc été écarté.
 
Autrement dit, les juges du Palais-Royal sont venus rappeler que, hormis le cas d’opération complexe, l’exception d’illégalité d’un acte non réglementaire (en ce compris, les décisions individuelles), n’est recevable que tant qu’il n’est pas définitif.
 
À ce stade, un bref rappel du régime de l’exception d’illégalité s’impose (I) pour une bonne compréhension de la décision (II).
 
  1. Rappels sur l’exception d’illégalité
 
Si un acte devient définitif à l’expiration du délai de recours, faisant ainsi échec à toute contestation par voie d’action, il peut cependant conserver, à défaut d’avoir été purgé, certains vices entachant sa légalité. Le mécanisme de l’exception d’illégalité permet alors de contester, par voie d’exception, la légalité d’un acte à l’occasion d’un recours dirigé contre un autre acte pris pour l'application du premier ou s'il en constitue la base légale (CE, Sect., 30 décembre 2013, Okosun, n° 367615), sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires (cf. par ex. : L 600-1 du code de l’urbanisme).
 
La recevabilité du mécanisme de l’exception d’illégalité dépend du caractère réglementaire ou individuel de l’acte illégal devenu définitif dont le requérant souhaite exciper l’illégalité.
 
S’agissant de l’acte réglementaire qui serait illégal, il est possible d’en exciper l’illégalité de manière perpétuelle dès lors que la décision contestée est une mesure d’application du règlement illégal (1) et que sa légalité est subordonnée à celle du règlement (2) (CE, 29 mai 1908, Poulin : Rec. CE 1908, p. 580 ; CE, 19 février 1967, Sté des établissements Petitjean, n°59125, n° 59126, n° 59329 : Rec. CE 1967, p. 63 ; AJ 1967, p. 285).
               A cet égard, il faut préciser qu’en matière pénale, l’exception d’illégalité est admise lorsque l’acte contesté modifie un règlement mais n’en constitue pas nécessairement un acte d’application. En effet, «dans la mesure où le décret du 29 décembre 1982, relatif aux infractions à la loi du 10 août 1981 concernant le prix du livre, a défini lesdites infractions et prévu qu'elles seraient punies de la peine d'amende prévue pour la deuxième classe de contravention, le décret attaqué qui substitue aux mots “deuxième classe de contravention” les mots “troisième classe de contravention” est bien pris pour son application et l'association requérante est recevable, à exciper de son illégalité »  (JurisClasseur, Fasc. 1084 : Délais de recours, point 509 ; CE, 24 janvier 1992, Association des centres Edouard Leclerc, n° 68122, Lebon p. 39).
               En matière d’urbanisme, le permis de construire n’est pas un acte d’application du Plan Local d’Urbanisme, de sorte qu’il n’est pas possible d’exciper de l’illégalité du PLU ; toutefois « il peut être utilement soutenu devant le juge qu'un permis de construire a été délivré sous l'empire d'un document d'urbanisme illégal - sous réserve, en ce qui concerne les vices de forme ou de procédure, des dispositions de l'article L. 600-1 du [code de l’urbanisme]-, à la condition que le requérant fasse en outre valoir que ce permis méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur » (CE, 27 février 2008, Commune de Courbevoie, n°297227).
 
S’agissant de l’acte individuel, l’exception d’illégalité n’est recevable que tant qu’il n’est pas définitif, à savoir jusqu’à l’expiration du délai de recours (CE, 17 décembre 1997, Préfet de l’Isère c. Arfaoui, n°171201). Elle est limitée dans le temps.
L’illégalité d’une décision individuelle définitive peut être cependant être invoquée à l’occasion d’un recours en réparation du préjudice résultant de cette même décision (CE, 3 décembre 1952, Dubois,  Rec. CE 1952, p. 555).
En outre, il est encore possible d’exciper de l’illégalité d’une décision définitive à l’occasion d’un recours dirigé contre une autre décision dans l’hypothèse d’une opération complexe, laquelle vise la situation où « une décision finale ne peut être prise qu’après intervention d’une ou plusieurs décisions successives, spécialement prévues pour permettre la réalisation de l’opération dont la décision finale sera l’aboutissement » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 13e éd., Montchrestien, 2008, n° 781).
 
La théorie des opérations complexes s’illustre principalement dans le contentieux des expropriations (CE, 29 juin 1951, Lavandier, Rec. CE 1951, p. 380) ou encore dans celui des opérations de recrutement dans la fonction publique (CE, sect., 3 mai 1957, Azoulay : Rec. CE 1957, p. 278 ; licenciement : CE, 23 décembre 2016, n° 402500, publié au Rec. Lebon).
 
Ces principes étant rappelés, l’arrêt commenté présente un intérêt particulier en ce qu’il éprouve le mécanisme de l’exception d’illégalité dans l’hypothèse de la méconnaissance d’une procédure consultative.
 
II. – Le mécanisme de l’exception d’illégalité dans le contentieux de la procédure consultative
 
La procédure consultative est une procédure pouvant appeler l’édiction de nombreuses décisions les unes après les autres, de sorte qu’il convient de s’interroger sur celle-ci au regard du mécanisme de l’exception d’illégalité. En effet, les décisions intervenant dans le cadre de cette procédure sont-elles constitutives d’une opération complexe ?
 
Les juges administratifs considèrent, de longue date, que le mécanisme de l’exception d’illégalité peut jouer dans le contentieux de la procédure consultative dès lors que l’organisme de consultation a été « spécialement créé » en vue d’une opération déterminée. Il sera alors possible d’exciper de l’illégalité de la composition ou de la désignation des membres de cet organisme à l’occasion d’un recours dirigé contre les résultats de cette opération déterminée, le tout formant une opération complexe. Le Conseil d’Etat a, par exemple, jugé en ce sens s’agissant d’une commission d’appel d’offres créée spécialement pour l’attribution d’un marché public déterminé (CE, 18 nov. 1991, Le Chaton c/ Commune Guidel : Rec. CE 1991, tables, p. 1144) ou encore s’agissant de la composition d'une commission administrative paritaire et d'une nomination décidée après consultation de cette commission (CE, sect., 13 juillet 1967, Bouillier : Rec. CE 1967, p. 312 ; JurisClasseur Administratif, Fasc. 1160 : Exception d’illégalité, point 97).
 
L’opération complexe, toujours dans le cadre d’une procédure consultative, ne sera en revanche pas caractérisée entre la désignation d’un membre d’une commission [qui n’a pas été « spécialement créée » en vue d’une opération déterminée] et la décision prise sur avis de cette commission (CE, Sect., 11 octobre 1957, Gonzalès : Rec. CE 1957, p. 526 ou CE, 28 mai 1975, Hospice Allart de Fourment dit Hospice de Frévent : Rec. CE 1975, p. 323, JurisClasseur Administratif, Fasc. 1160 : Exception d’illégalité, point 110, ou plus récemment CE, 4 décembre 2013, Bourdin et autres, n° 364207, inédit au recueil Lebon).
 
C’est cette solution qu’est venu rappeler le Conseil d’Etat dans l’arrêt commenté du 16 décembre 2016 :
 
« l'association requérante ne peut invoquer l'irrégularité de la désignation de l'intéressée à la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage dès lors que l'arrêté préfectoral du 14 mars 2013 portant composition de cette commission, qui l'en a nommée membre en qualité de personnalité qualifiée, lequel n'a pas un caractère réglementaire, a été publié au recueil des actes administratifs du 26 mars 2013 de la préfecture des Vosges et est devenu définitif ; qu'il suit de là que le moyen tiré de la composition irrégulière de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage doit être écarté » (cf considérant 6).
 
 
Ainsi, sauf le cas d’une commission spécialement créée en vue de prendre une décision, il convient de ne pas attendre l’expiration du délai de recours pour contester la légalité d’un acte individuel désignant une personne en qualité de membre d’une commission, alors même que l’illégalité en cause ne déploierait ses effets qu’au moment de la décision finalement prise après avis de la commission alors irrégulièrement composée.
 
 Denis Garreau, Delphine Archer et Anthony Pilon (stagiaire)